Jouer

Jouer avec le feu, la gâchette, six coups,
Et peut-être rater encore la cible,
Faute d’avoir frappé sans trembler le cou,
Ce piédestal, la mèche si sensible
Qui soutient ma tête, mon combustible.

Jouer avec le vide, ce bel abîme,
Les pieds fondus sur la prise de coke,
Le rocher blanc du calcaire sublime,
Montagne où mes désirs profonds s’entrechoquent.
Là, le vertige, ronde endiablée des rocs.

Jouer sans cesse sur ma basse ce mantra,
Cet écho lointain si proche de la mort,
Regarde, la vie est belle et patatra !
Un jet de dés, la vie s’en va sur cet accord,
Ce cri : ne plus jouer c’est être déjà mort.

Je suis dérangé

Je suis dérangé
La pluie m’oublie mais me mouille en pissant
L’orage me secoue en jouant à dieu
À Jupiter en tonnerre échappé du couvent.

Je suis dérangé
La Grande Ourse me mord le fondement
J’avais vendu sa peau à Vénus
Pour habiller son corps de soufre en diamant.

Je suis dérangé
Le chaos s’acharne et me berce en buvant
Ce rhum vieux cette barrique
Le sang versé de la terre et des gens.

Je suis dérangé
Bonnes gens bonnes familles petits enfants
Fuyez mes feux mes rires et mes caprices
La bourrasque échevelée qui passe en pleurant.

La fournaise

Dans mes tympans assourdis de pantin desséché
Les cigales grincent et grondent
Compteur Geiger affolé
Aiguille écarlate ébréchée
Tordue
Capteur sensible submergé
Par les rayons de la roue qui tourne
Tourne encore
Tourne toujours
Avec l’inertie du marbre noir
L’inexorable volonté du broyeur de déchets

Et bientôt
Planté en moi-même comme un serpent se mord la queue
La tête en bas rougie de mon sang
Dernier recours de la braise quand l’arbre a trop brûlé

Et bientôt
Dans la fumée les jambes en l’air
Je verrai le monde s’éteindre aussi
Avec la dignité d’un pantin à l’envers.